La pandémie a été le coup d’envoi d’un énorme projet de restructuration capitaliste, dans lequel on est rapidement en train de se perdre. Londres est déjà bien partie pour être une « ville intelligente », ce qui signifie que chaque molécule de cette métropole bouillonnante est en train d’être intégrée (ou l’est déjà) dans un grand réseau artificiel : un réseau certes capitaliste, mais largement virtuel, presque autonome, répandu dans toute chose autour de nous et dans nous-mêmes, dans nos corps, dans nos esprits.
En ce moment, nous sommes au milieu d’un vaste labyrinthe. Un monde de rêve immaculé et serein est en train d’être construit. L’efficacité totale, l’interconnexion totale, l’isolement total. Le monde est rapidement réduit et limité à ce qui peut être calculé, prédit et traité par l’intelligence artificielle, la réalité augmentée et l’internet des objets.
Les derniers vestiges de liens humaines et vitaux sont en train d’être jetées aux chiottes, remplacées par la gestion de cette routine d’exploitation impitoyable et de désespoir absolu.
Entre-temps, la terre vivante est incinérée – il est déjà trop tard pour arrêter cela. Nous sommes déjà en plein milieu de la catastrophe de l’extinction massive. Pas de soucis. Le capital sera là pour assurer la transition entre les pratiques « destructrices » de l’extraction des combustibles fossiles et l’exploitation minière des minerais de terres rares (utilisées pour les panneaux solaires, les éoliennes et toutes les technologies intelligentes sur lesquelles a été fondé leur monde actuel) ; ils sont déjà en train d’utiliser du travail en conditions d’esclavage pour creuser des mines en Guinée et au Congo. Et les masses qui fuient la mort et le chaos provoqués par des pénuries et des guerres pour les ressources qui en découlent, dans nos anciens avant-postes coloniaux ? Eh bien, le camp de concentration de Napier Barracks*, les milliers de personnes qui échouent sur les côtes de la Méditerranée, les frontières militarisées et le système des camps de rétention vous donnent un aperçu de la façon dont ils vont gérer ce scénario.
Entre-temps, les marchés s’enfoncent dans une instabilité permanente, étant donné que les modèles familiers disparaissent, que l’industrie « productive » continue à être délaissée et que la finance spéculative réaffirme sa domination sur l’économie mondiale : il y aura (et il y a déjà) des faillites et des crises massives. Pas de problème. Nous nous souvenons de la dernière décennie d’austérité punitive, de la mise au rebut de nombre d’exploité.e.s, de l’intégration de tous les aspects de notre existence dans une économie rapace, appelée « économie des petits boulots », alors que des conditions de vie semblables à celles des faubourgs de taudis de l’époque victorienne se répandent, aux marges, que des masses d’habitants, dans cette ville, n’ont pas les moyens de se nourrir, que le chômage dépasse les niveaux de 1981 : le scénario ici est très clair.
Entre-temps, la technologie de surveillance – Londres est déjà hérissée de caméras, mais cela est complété par les GPS, par nos propres « appareils », par ce monde que nous traversons péniblement – est en train de passer à la vitesse supérieure. A tout cela on peut donc ajouter les drones, qui seront bientôt un signe aussi banal de l’occupation en cours que le sont les voitures de police. Mais bon. Nous savons exactement la façon dont tout cela sera utilisé. De la même manière que ce pays a construit un système carcéral tentaculaire afin d’étiqueter, d’emballer et d’entreposer quiconque passe entre les mailles de cette méga-machine – sans parler du traitement brutal réservé à quiconque a l’audace de se dresser et de la combattre. A ce propos, le nouveau « projet de loi » nous donne une idée de la direction vers laquelle nous allons.
Nous sommes donc en train de perdre le contrôle des choses ; le monde est en train de changer très vite et nous ne savons pas trop quoi faire. Toute forme de lutte qui se fonde sur des gestes activistes performatifs, sur l’« organisation communautaire » (quoi que cela puisse signifier), sur la « sensibilisation », sur l’enrôlement de plus de gens possible dans un parti, sur des demandes de réforme, etc. : tout cela n’est pas seulement quantitatif et réactionnaire, mais correspond à un monde qui n’existe plus. Le chemin que le capitalisme suit (et cela depuis un certain temps) consiste à réaliser le dicton de Thatcher : se débarrasser de la « société ». Dans ce néo-féodalisme, il n’y a tout simplement pas de « politique », pas de « droits », pas de « démocratie », pas de « communauté », même pas de nom – il n’y a rien que l’on puisse même faire semblant de pouvoir influencer. Juste un tourbillon dans lequel nous sommes destinés à nous diviser et à nous perdre, en « attendant » que quelque chose qui ne viendra jamais nous sorte de ce cauchemar.
Sans dignité, sans passion, engourdi.e.s, étouffé.e.s, vides.
Mais nous avons encore quelque chose qui est vraiment dangereux. Nous avons une idée. Une idée pour laquelle il vaut la peine de prendre des risques, sur laquelle il vaut la peine de parier ce qu’il nous reste de vie. Si nous pouvons gagner le courage de nos convictions, nous pouvons partir à l’aventure pour affirmer, fièrement et sans crainte, une réalité – une façon d’être qui peut faire exploser les contours de l’avenir qui a été tracé pour nous, de la tombe qui a déjà été creusée et qui nous attend. Parce que cela est exactement ce qui manque au pouvoir. Il ne peut même pas le comprendre. Quand il regarde l’instabilité et le chaos de notre époque, il ne peut y voir que quelque chose à gérer. Il ne voit que le chemin de la restauration. Mais nous pouvons à peu près discerner, si nous essayons, quelque chose de très différent : tout un tas de vulnérabilités, tant matérielles que mentales (le champ de bataille est maintenant partout), sur la base desquelles nous pouvons tracer un plan d’attaque. Parce qu’une fois que nous détruisons l’illusion que tout cela est inévitable, une fois que nous avons affirmé la beauté et la force de notre idée contre ce monde, tout à son sujet peut être réinterprété. Il n’y a plus une population à surveiller, à suivre et à gérer. Il y a une zone où sont retenus des individus, chacun desquels peut avoir la même rage, les mêmes rêves que nous. Il n’y a plus une économie à laquelle sacrifier. Il y a des exploité.e.s prêt.e.s à se battre aux côtés d’autres, contre des exploiteurs dont le pouvoir est fragile et dont les déclarations de légitimité sont révolues depuis longtemps. Il n’y a plus une technologie envahissante. Il y a tellement de nœuds d’une infrastructure, des points faibles prêt à être pris pour cible. Surtout, il n’y a plus d’inertie, il y a un vieux monde dont il faut se débarrasser et un moment présent, si longtemps occulté et remis à plus tard, prêt à être saisi à nouveau, ensemble, prêt à être expérimenté, à être vécu pleinement.
Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Attendons-nous simplement la prochaine émeute ? Et même, que ferions-nous dans une situation d’insurrection généralisée ? Devons nous nous contenter d’être des spectateur.trice.s et d’encourager les marginaux.les et les exclu.e.s ? Peut-être pouvons nous apporter notre propre pierre ? Et que se passe-t-il le jour d’après ? La vérité est que, pour l’instant, tout « revient à la normale ». Nous devons faire le point : nous sommes déjà dans une situation où l’État ne peut pas garder le contrôle des rues, dans ce nouveau climat d’instabilité « gérée ». Regardons cette planète qui est en feu, aujourd’hui, et même ce pays-ci ne peut pas échapper à cette tendance, un rapide coup d’œil à l’ouest [en direction de Bristol, théâtre d’une récente émeute ; NdAtt.] vous en convaincra. Pour obtenir un véritable changement qualitatif, nous devons nous débarrasser de toute routine, y compris celles qui sont ornées d’attributs « violents ». Nous voulons diffuser parmi nous et exprimer au monde une vision de l’insurrection et de la guerre sociale qui va au-delà des affrontements avec les flics – parce que, contrairement à ce qui voudrait une certaine habitude anarchiste, la police n’est pas le véritable ennemi, elle est simplement un obstacle. Le véritable ennemi, à affronter par la violence, est notre propre conception réduite de ce qui est possible, de ce que cela signifie de vivre. Pour enlever le masque du pouvoir, pour voir ce système comme la chose faible et fragile qu’il est, nous devons voir ce qui, malgré toutes les apparences, est vraiment fort en nous, et il s’agit de notre capacité à commencer une révolte infinie, sans limites, à dépasser nos imaginaires réduits – à parier nos vies sur ce qui ne peut être représenté, fait objet de médiation ou modélisé. Face à cela, les tribunaux, les postes de police, les parlements, les salles de conseil, l’armée, la Silicon Valley, la chambre de commerce, l’OTAN/G8/G20/COP- ?, les centres de « commandement anti-terroriste » deviennent ce qu’ils sont réellement – juste des spectacles absurdes, avec autant de mauvais comédiens qui attendant d’être chassés de la scène, lorsque le public n’aura plus la force de regarder et de se tapir dans le noir une seconde de plus.
CETTE TECHNO-PRISON EST VULNÉRABLE
INSURRECTION MAINTENANT
Note d’Attaque :
* Centre de rétention pour demandeurs d’asile, ouvert en septembre 2020 et devenu depuis un cluster géant de Covid-19. Le 29 janvier 2021, après une révolte, un incendie à touché une partie de la structure.